GENS DE BEHAVIOUR
Julien Céré
Julien Céré est Chef d’équipe – Sciences et données
Parle-nous un peu de toi, que fais-tu chez Behaviour et quel est ton cheminement professionnel ?
On pourrait dire que ce sont les écureuils qui m’ont amené chez Behaviour. J’ai une formation en biologie et en recherche ; ma spécialité est l’écologie comportementale, c’est-à-dire l’étude du comportement des animaux sous l’effet de la sélection naturelle. Ma maîtrise sur les conflits pour les ressources entre les écureuils a frappé un mur par manque de données : à mon deuxième été de collecte de données, les écureuils étaient devenus très rares sur mon site de recherche. Du jour au lendemain, j’ai abandonné mon sujet initial et migré (avec succès cette fois) vers une simulation mathématique comme sujet de mémoire.
En parallèle, avec un ami biologiste (appelons-le Pierre-Olivier, c’est important plus tard), j’ai commencé à m’intéresser aux jeux vidéo comme plateforme de recherche : beaucoup de jeux proposent des dynamiques très similaires à ce qu’on observe dans la nature et ces comportements sont mesurables grâce aux quantités phénoménales de données qu’on y collecte. Plus de problème d’écureuils ingrats !
J’ai donc entamé un doctorat et j’ai postulé pour un stage chez Behaviour. Depuis, j’ai occupé différents postes relatifs aux données de jeu et je suis maintenant chef d’une petite équipe de scientifiques de données (aka Data Scientists) dont le mandat est de développer des prédictions, des analyses statistiques, des simulations, et des outils d’intelligence artificielle (AI) pour aider les équipes de production. Ces projets d’intelligence artificielle peuvent prendre la forme d’outils de « text mining », de systèmes de recommandation comme chez Amazon, ou de prédictions quand un joueur monétisera ou quittera notre jeu.
Qu’est-ce que tu aimes de la science des données ? Quels sont les principaux défis de ton poste ?
La curiosité m’a poussé vers les sciences. L’approche scientifique repose initialement sur une question. Ainsi, un scientifique doit autant poser des questions que donner des réponses ; c’est un des rares domaines où la curiosité est capitale ! En tant que scientifique de données, on vient nous voir avec un problème ou un défi à régler. Il faut alors poser les bonnes questions et proposer différentes hypothèses, pour ultimement livrer une solution appropriée au problème original, que ce soit une analyse ou un outil. Finalement, ce qui me motive dans la science des données est de capitaliser sur cette curiosité et cette créativité pour ultimement créer des solutions qui ont un impact réel sur nos produits ou sur le travail de nos collaborateurs. La science des données est aussi exercice de collaboration : plusieurs projets demandent la synchronisation de plusieurs disciplines et cela peut représenter un défi important.
Parle-nous de tes études et de ce qui t’a motivé à faire un doctorat.
Après avoir terminé un contrat dans un laboratoire où on filmait des crickets et des wetas (des gros crickets de Nouvelle-Zélande) se battre pour des femelles, j’étais à la proverbiale croisé des chemins. L’impact social, aussi menu soit-il, reste une priorité pour moi alors j’ai opté pour le doctorat avec l’espoir que mes recherches (un peu avant-gardiste?) inspirent d’autres chercheurs.
Dead by Daylight (DbD) est un jeu où un tueur poursuit et attrape quatre survivants. Le parallèle avec un prédateur et ses proies était pour moi évident. De plus, les comportements de compétition et de coopération (mécaniques importantes de DbD) sont aussi des sujets très importants de la littérature scientifique en écologie. D’ailleurs, l’évolution de la coopération entre animaux reste un mystère à bien des égards encore à ce jour. Un animal veut optimiser sa survie et sa reproduction alors pourquoi irait-il aider un autre animal à ses propres dépens (perte de temps ou d’énergie, risque de prédation…). Une des causes de ce mystère est qu’il est difficile, voire impossible, de bien mesurer toutes les interactions sociales entre des animaux dans la nature. Dead by Daylight, en revanche, permets des mesures fiables et complètes des interactions et comportements entourant l’altruisme. On peut donc facilement quantifier les risques et les bénéfices d’aider un autre survivant.
Ainsi, l’objectif de mon doctorat est d’étudier comment les comportements de coopération peuvent persister sous la sélection naturelle. Une des hypothèses que je teste est la sélection de groupe : je prends des risques pour aider les autres membres de mon groupe, car mon groupe performera alors mieux qu’un autre groupe sans coopération. Une autre hypothèse est l’augmentation de la taille du groupe : j’aide les autres pour augmenter ou préserver la taille de mon groupe, car la force du nombre va réduire les chances de me faire capturer par un prédateur. Vous pouvez lire mon premier article sur les bénéfices et risques de jouer avec ses amis ici.
Quelles conclusions as-tu tirées de cette étude? Est-ce que tu appliques les résultats de cette analyse dans ton travail?
Mes recherches sont plus fondamentales qu’appliquées, c’est-à-dire qu’elles sont exploratoires et on ne sait pas toujours ce qui en sortira comme conclusion. Au travail, on est plus dans la recherche appliquée donc tenter de répondre à un besoin réel, tangible et parfois urgent. Néanmoins, mes résultats alimentent souvent des conversations avec les équipes de design, car ils nous éclairent sur comment les joueurs interagissent et comme ils s’approprient le gameplay. De façon générale, c’est assez commun que des résultats de recherche fondamentale nourrissent des solutions appliquées. Avec le temps, il est possible que des recherches comme les miennes prennent de plus en plus de place dans nos processus décisionnels. D’ailleurs, nous collaborons étroitement avec le laboratoire de Pierre-Olivier Montiglio (mon ami susmentionné !) qui est maintenant professeur-chercheur à l’UQAM et qui dédie une partie du focus de son groupe sur des approches utilisant les jeux vidéo. Nous avons même au sein de notre équipe de scientifique de donnée chez Behaviour une partenaire de recherche, Francesca Santostefano (post-doc en écologie comportementale), qui collabore avec nous de façon quotidienne sur les questions de gameplay. Nous discutons aussi avec différents laboratoires de recherche en communication et en comportement du consommateur.
As-tu un conseil à donner suite à l’obtention des résultats de cette étude?
Les gens sont souvent surpris que j’effectue mes recherches sur l’évolution du comportement des animaux avec des données de jeux vidéo. Comme l’écologie est l’étude des interactions (aussi simple que cela !), pour moi, l’opportunité est évidente. La relation entre le game design et l’écologie devrait être symbiotique (see what I did there !), car les deux domaines ont beaucoup à apprendre de l’autre. Des jeux multijoueurs asymétriques ne sont pas faciles à étudier, ce sont de vrais écosystèmes et l’écologie propose déjà une série d’approches pour adresser ces défis. Toute discipline scientifique veut augmenter nos connaissances sur des sujets précis en utilisant des techniques objectives et éprouvées. Alors voici mon conseil : quand vous faites face à un défi ou une incertitude, il est probable qu’une discipline scientifique quelconque se soit déjà penchée sur ce sujet et que le travail de toute une communauté de chercheurs puisse éclairer vos décisions !